Somalie : l’or blanc des chameaux

Somalie : l’or blanc des chameaux

11 août 2025

En Somalie, la silhouette élancée des chameaux, avançant d’un pas sûr sur la poussière ocre, est plus qu’un simple décor : c’est un symbole de survie et d’identité. Depuis des siècles, leur lait a nourri les communautés nomades, offrant, même en période de sécheresse, un apport vital de nutriments. Aujourd’hui, ce patrimoine millénaire connaît un renouveau sans précédent. À une vingtaine de kilomètres de Mogadiscio, un site pilote vient de doubler ses volumes de production et d’inaugurer la toute première usine de yaourt au lait de chamelle du pays. Cette innovation allie tradition, technologie et ambition économique.

« Le lait de chamelle est notre or blanc », confie Hassan Abukar, éleveur de la région de Lower Shabelle, qui livre désormais chaque matin une partie de sa traite à l’usine. Riche en vitamine C, en fer et en protéines, tout en étant pauvre en graisses saturées, ce lait est reconnu par l’Organisation mondiale de la santé comme une ressource précieuse pour lutter contre la malnutrition. Longtemps, sa production est restée artisanale, vulnérable aux pertes et aux fluctuations du marché. Mais avec l’installation d’équipements de pasteurisation, de chaînes de conditionnement et de chambres froides, les volumes collectés sont désormais sécurisés et la qualité standardisée. Résultat : le site pilote près de Mogadiscio traite aujourd’hui jusqu’à 5 000 litres par jour, soit deux fois plus qu’il y a un an.

La première usine de yaourt : un jalon stratégique

L’usine flambant neuve, financée en partie par un partenariat entre le ministère somalien de l’Agriculture et des ONG comme Shaqodoon, a été conçue pour transformer le lait de chamelle en un produit à plus forte valeur ajoutée : le yaourt. Conditionné dans des pots colorés, facile à transporter et à conserver, ce yaourt séduit déjà les consommateurs urbains.

Le directeur du site, Abdi Mohamed, y voit une révolution : « Nous avons transformé un produit que l’on consommait surtout dans les zones rurales en un aliment moderne, adapté aux supermarchés et aux écoles. » Cette modernisation a aussi ouvert des débouchés potentiels à l’export, notamment vers les pays du Golfe, où la demande pour les produits laitiers de chamelle est en pleine expansion. Derrière les murs blancs de l’usine, ce sont plus de 120 emplois directs qui ont été créés, de la production au contrôle qualité. Mais l’impact s’étend bien au-delà. Les éleveurs, souvent issus de zones rurales frappées par la sécheresse, bénéficient désormais de contrats d’approvisionnement stables. Les transporteurs, les fournisseurs d’emballages et même les commerçants locaux profitent de cette dynamique. Les femmes, en particulier, trouvent dans cette filière une source d’autonomie nouvelle. Certaines assurent la collecte, d’autres la distribution dans les marchés de Mogadiscio. « Avant, nous vendions au jour le jour, sans garantie », explique Fadumo, collectrice. « Aujourd’hui, je sais que chaque litre que je ramène est payé à un prix juste. »

Tradition et modernité, main dans la main

Si l’usine incarne la modernité, elle ne renie pas les racines culturelles de cette production. Dans de nombreuses familles somaliennes, le lait de chamelle est associé à des souvenirs d’enfance, aux repas partagés et aux cérémonies. L’initiative s’efforce donc de préserver les méthodes d’élevage traditionnelles tout en introduisant des standards sanitaires rigoureux. Des formations sont dispensées aux éleveurs pour améliorer la santé des troupeaux, réduire les pertes et respecter la chaîne du froid. « Nous voulons que chaque pot de yaourt raconte aussi l’histoire des éleveurs qui l’ont rendu possible », résume un représentant du programme.

Avec plus de 7 millions de chameaux recensés en Somalie, le potentiel de croissance est immense. Le pays espère non seulement répondre à sa demande intérieure, mais aussi conquérir des marchés régionaux. L’Éthiopie et le Kenya exportent déjà du lait de chamelle vers le Moyen-Orient ; la Somalie entend bien se positionner sur ce créneau. À terme, la diversification vers le fromage, le beurre ou le lait en poudre est envisagée. Des discussions sont également en cours pour obtenir des certifications internationales, étape indispensable pour accéder aux marchés européens et asiatiques. Dans un pays trop souvent associé aux crises humanitaires, cette réussite a valeur de symbole. Elle montre que la Somalie peut capitaliser sur ses atouts pour bâtir un développement durable, ancré dans ses traditions et ouvert sur le monde. Le lait de chamelle, humble et nourricier, se transforme ainsi en moteur d’emploi, en levier de nutrition et en ambassadeur culturel. Et à Mogadiscio, dans les rayons des supermarchés, chaque pot de yaourt raconte désormais une histoire de résilience, de fierté et d’avenir.

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