Lorsque Ellen Johnson Sirleaf est élue présidente du Liberia en janvier 2006, elle devient la première femme chef d’État élue démocratiquement en Afrique. Cette victoire est bien plus qu’un symbole : c’est l’aboutissement d’un long parcours politique et personnel, et le début d’un immense chantier pour un pays exsangue. Le Liberia sort alors de quatorze années de guerre civile. Près d’un quart de million de morts, des millions de déplacés, des infrastructures en ruine et une économie effondrée ont laissé un champ de ruines, tant sur le plan matériel que moral. Monrovia, la capitale, est largement privée d’électricité et d’eau courante. Le chômage atteint des niveaux vertigineux, et l’État ne dispose que d’un maigre budget de 80 millions de dollars. Face à cette situation, Ellen Johnson Sirleaf incarne l’espoir, mais elle hérite aussi d’un défi titanesque : rebâtir une nation sur des bases nouvelles.
Formée en économie et en administration publique, notamment à Harvard, elle a derrière elle une carrière dans de grandes institutions internationales, comme la Banque mondiale et Citibank. Cette expérience lui permet d’ouvrir rapidement des négociations avec les bailleurs de fonds et les institutions multilatérales pour faire annuler la dette extérieure du Liberia. Grâce à ces efforts, le pays bénéficie d’un allègement substantiel de sa dette dans le cadre de l’initiative internationale en faveur des pays pauvres très endettés. Cette opération libère des ressources indispensables pour relancer les services de base, reconstruire les infrastructures et stabiliser les finances publiques. Dans le même temps, elle engage une réforme de l’administration, relance l’accès à l’éducation en rendant l’école primaire gratuite et obligatoire, et rétablit peu à peu la présence de l’État dans les régions. Consciente du rôle central de la transparence dans un pays marqué par la corruption, elle fait adopter en 2010 une loi sur la liberté d’information — une première en Afrique de l’Ouest. Son action politique s’inscrit également dans un effort plus large de réconciliation nationale. Elle soutient la mise en place d’une commission vérité et réconciliation, chargée d’enquêter sur les crimes commis pendant la guerre civile. Cette démarche vise à favoriser l’apaisement, même si elle reste controversée : elle-même figure dans le rapport final pour avoir brièvement soutenu Charles Taylor à ses débuts. Elle reconnaîtra cette erreur et présentera des excuses publiques. Mais son engagement pour la paix et l’inclusion reste intact, et son leadership se distingue par une volonté constante d’associer toutes les forces du pays à l’effort de reconstruction. Très attachée à l’émancipation des femmes, elle lance également plusieurs initiatives pour favoriser leur autonomie économique, notamment en soutenant les femmes commerçantes à travers des programmes d’accès au microcrédit, de construction de marchés et de formation.
Sur la scène internationale, Ellen Johnson Sirleaf s’impose rapidement comme une figure respectée, incarnant un leadership audacieux et engagé. En 2011, elle reçoit le prix Nobel de la paix, aux côtés de Leymah Gbowee et Tawakkul Karman, en reconnaissance de leur combat pour les droits des femmes et la promotion de la paix, récompensant ainsi des années d’engagement politique et humaniste. Elle quitte le pouvoir en 2018, après deux mandats, en assurant une transition démocratique pacifique avec l’élection de George Weah — un fait inédit au Liberia depuis plus de soixante-dix ans. Si son action n’échappe pas à certaines critiques, notamment pour des nominations jugées népotiques ou sa gestion de la crise Ebola, son bilan demeure largement salué pour avoir permis à son pays de sortir du chaos et de retrouver une stabilité institutionnelle. Elle poursuit son engagement après la présidence en fondant le centre Ellen Johnson Sirleaf pour le leadership des femmes, à travers lequel elle lance l’Amujae Initiative, un programme visant à former et soutenir une nouvelle génération de dirigeantes africaines. Ellen Johnson Sirleaf demeure ainsi une femme d’État emblématique, dont le courage et la vision ont profondément marqué l’histoire du Liberia et ouvert la voie à une représentation plus inclusive du pouvoir sur le continent africain.
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