Lorsqu’on évoque les poumons verts de la planète, le réflexe immédiat est souvent de citer l’Amazonie. Pourtant, un autre écosystème tout aussi vital se trouve sur le continent africain : le Bassin du Congo. Deuxième forêt tropicale du monde après l’Amazonie, il s’étend sur plus de 3,6 millions de km² à travers six pays (République démocratique du Congo, République du Congo, Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale et République centrafricaine). Cet espace abrite environ 10 000 espèces de plantes, 1 000 espèces d’oiseaux et 400 espèces de mammifères, dont des gorilles, des éléphants de forêt et des okapis, et constitue l’un des plus grands réservoirs de biodiversité de la planète. Mais au-delà de cette richesse naturelle, le Bassin du Congo joue un rôle central dans la lutte contre le changement climatique, ce qui en fait un acteur incontournable pour l’avenir de l’humanité.
La forêt du Bassin du Congo stocke près de 30 milliards de tonnes de carbone, soit l’équivalent de trois années d’émissions mondiales de CO₂. Elle absorbe plus de carbone qu’elle n’en rejette, contrairement à l’Amazonie qui, sous l’effet de la déforestation massive, est devenue émettrice nette dans certaines zones. Cette capacité d’absorption fait du Bassin du Congo un rempart naturel contre le réchauffement climatique. De plus, la région influence les cycles de précipitations bien au-delà de ses frontières. En libérant de l’humidité dans l’atmosphère, elle contribue à la régulation des pluies en Afrique centrale et même jusqu’au Sahel, jouant ainsi un rôle crucial dans la sécurité alimentaire de millions de personnes.
Le Bassin du Congo est également une source de richesses colossales. Ses sols regorgent de minerais stratégiques tels que le cobalt, le cuivre, l’or ou le coltan, indispensables à l’économie mondiale et notamment à la transition énergétique (batteries, panneaux solaires, véhicules électriques). Les cours d’eau du bassin représentent à eux seuls 13 % du potentiel hydroélectrique mondial, une ressource énergétique encore largement sous-exploitée. Mais ce potentiel attire aussi les convoitises : exploitation forestière non durable, exploitation minière artisanale ou industrielle, agriculture sur brûlis… Autant de pressions qui fragilisent cet écosystème et menacent son rôle régulateur. Selon des estimations récentes, la région perd chaque année environ 500 000 hectares de forêt.
Le Bassin du Congo n’est pas seulement une question africaine, mais bien un enjeu global. Dans les négociations climatiques internationales, il est souvent considéré comme le troisième poumon vert de la planète après l’Amazonie et les forêts boréales. Or, contrairement à ces dernières, il reste moins médiatisé et moins financé. Lors de la COP27 et de la COP28, plusieurs voix africaines ont insisté sur la nécessité de mieux valoriser le rôle de cette forêt dans les mécanismes financiers liés au climat. Les pays de la région plaident pour une compensation équitable : puisque leurs forêts absorbent du carbone pour le monde entier, les nations industrialisées devraient contribuer davantage à leur préservation. Des initiatives comme l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales, qui regroupe le Brésil, l’Indonésie et la RDC, vont dans ce sens. Le défi majeur est de concilier développement économique et préservation environnementale. Les populations locales, souvent confrontées à la pauvreté, dépendent directement des ressources de la forêt pour se nourrir, se chauffer et générer des revenus. Ainsi, toute stratégie de conservation doit intégrer un soutien concret aux communautés locales, en leur offrant des alternatives viables : la promotion d’une agriculture durable, la valorisation de produits forestiers non ligneux (miel, fruits, plantes médicinales), l’écotourisme encore balbutiant mais porteur d’avenir, et surtout, des programmes de formation et d’éducation pour les jeunes générations. Des projets pilotes existent déjà, comme la mise en place de programmes REDD+ (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts), qui permettent de rémunérer la conservation des forêts grâce à la vente de crédits carbone. Mais leur efficacité dépend d’une gouvernance transparente et d’une lutte ferme contre la corruption et l’exploitation illégale.
Le potentiel du Bassin du Congo comme poumon vert mondial est immense, mais il demeure fragile. Sa préservation ne peut reposer uniquement sur les pays africains qui l’abritent : elle doit être considérée comme un bien commun de l’humanité. Cela suppose des partenariats équilibrés, un financement international renforcé et une reconnaissance du rôle stratégique que joue cette région pour la stabilité climatique de la planète. En redonnant au Bassin du Congo la place qu’il mérite dans l’agenda climatique mondial, l’Afrique peut non seulement protéger son patrimoine naturel, mais aussi affirmer son rôle central dans la transition écologique globale.
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