Depuis plusieurs décennies, la Chine a énormément investi dans les relations avec le continent africain. Le partenariat sino-africain a connu une expansion rapide, dans différents domaines, que ce soit les ressources naturelles, la coopération militaire, le commerce ou la santé. Cependant, derrière cette collaboration ne trouvons-nous pas des dynamiques complexes, sources de controverses ? Les relations entre les pays africains et la Chine balancent entre opportunités économiques et dépendance croissante qui à terme pourrait mettre en cause leur souveraineté.
L’un des aspects les plus visibles de l’engagement de la Chine en Afrique se situe dans les investissements massifs dans les infrastructures. Que cela concerne les routes, les chemins de fer, les ports, les barrages ou les bâtiments publics, les projets financés et réalisés par des entreprises chinoises sont présents dans de nombreux pays africains. Depuis le début des années 2000, la Chine a investi des milliards de dollars sur le continent, ce qui a permis à de nombreux pays africains de moderniser leurs infrastructures et de stimuler leur croissance économique.
Dans ce partenariat, la Chine offre des financements bien souvent plus accessibles que ceux des institutions financières internationales. Elle accorde des prêts avec des conditions de remboursement jugées plus souples, parfois accompagnés de délais de grâce. Cette approche a séduit de nombreux gouvernements africains, en particulier ceux ayant des difficultés à obtenir des financements auprès d’institutions telles que le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale, qui imposent généralement des conditions plus strictes.
Cependant, ce modèle de financement a aussi ses revers. Beaucoup de ces projets qui sont financés par des prêts doivent être remboursés. Avec des dettes de plus en plus lourdes, certains pays africains se retrouvent dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de la Chine et suscite des craintes quant à une nouvelle forme de « piège de la dette ». Le cas du Sri Lanka, qui a dû céder le port stratégique de Hambantota à la Chine faute de pouvoir rembourser un prêt, est souvent cité comme exemple du danger potentiel de ce type d’engagement.
Au-delà des infrastructures, la relation sino-africaine repose en grande partie sur l’accès aux ressources naturelles. Avec un sous-sol riche en matières premières tels le pétrole, les minerais (cobalt, cuivre, lithium), terres rares, et produits agricoles, l’Afrique permet à la Chine, dont l’économie repose en grande partie sur l’industrie et la production, de profiter de ces ressources. En échange de son aide au développement et de ses investissements en infrastructures, Pékin négocie donc des contrats d’exploitation de ces matériaux bruts. Pour les pays africains, ces partenariats peuvent représenter des opportunités de développement économique. En plus des revenus issus de l’exportation de matières premières, les investissements chinois dans des projets miniers ou pétroliers s’accompagnent souvent de la création d’emplois locaux et de transferts de technologies. Cependant, ces partenariats perpétuent une économie africaine encore largement dépendante de l’exportation de matières premières, sans favoriser la diversification ni la création de chaînes de valeur locales. D’autre part, les conditions des contrats d’exploitation sont souvent opaques et favorables aux entreprises chinoises, suscitant des débats sur la souveraineté et le contrôle des ressources nationales.
La présence chinoise en Afrique ne se limite pas à l’économie. La Chine s’est également impliquée dans des questions politiques et de sécurité. Elle a établi des partenariats avec des gouvernements africains, notamment par le biais de la formation militaire, de la fourniture d’équipements et de la participation à des missions de maintien de la paix sous l’égide des Nations unies. D’un point de vue politique, la Chine met en avant le principe de non-ingérence, ce qui contraste avec l’approche des pays occidentaux, souvent critiqués pour conditionner leurs aides à des exigences en matière de droits de l’homme ou de gouvernance. Pour de nombreux dirigeants africains, cette approche est attrayante, car elle leur permet de recevoir des investissements et de l’aide sans devoir se conformer à des standards internationaux de gouvernance ou de transparence. Cependant, cette relation est également complexe. D’une part, elle permet à la Chine d’étendre son influence politique sur le continent africain. Par exemple, le soutien de nombreux pays africains à la politique de Pékin concernant Taïwan, ou encore à ses positions dans les instances internationales, témoigne de l’impact de ces partenariats. D’autre part, elle crée des tensions, notamment lorsque les intérêts chinois entrent en conflit avec les aspirations de la société civile africaine ou les besoins locaux.
Le partenariat sino-africain, bien que souvent salué pour les opportunités économiques qu’il offre, fait l’objet de critiques croissantes. Dans plusieurs pays africains, des voix s’élèvent pour dénoncer les conditions des contrats passés avec les entreprises chinoises, la faible part des emplois créés localement ou encore les atteintes à l’environnement. L’exploitation minière dans des zones protégées, la déforestation, et l’impact sur les écosystèmes locaux sont des points de tension. La présence chinoise est également critiquée pour son impact sur l’économie locale. Dans certains secteurs, tels que la construction ou le commerce, les entreprises chinoises dominent le marché, parfois au détriment des entreprises locales. Les travailleurs africains protestent souvent contre les conditions de travail dans les entreprises chinoises, mettant en lumière des différences culturelles et des pratiques managériales qui ne respectent pas toujours les standards de protection des travailleurs.
Face à ces défis, les pays africains cherchent de plus en plus à rééquilibrer leur relation avec la Chine. Certains gouvernements adoptent des politiques plus strictes pour encadrer les investissements chinois, exigent des transferts de compétences ou imposent des règles en matière d’emploi local. La société civile africaine, de son côté, se mobilise pour dénoncer les contrats jugés léonins et pour réclamer plus de transparence dans la gestion des ressources naturelles.
De son côté, la Chine cherche à améliorer son image sur le continent. Consciente des critiques, elle développe des projets plus diversifiés, investissant notamment dans l’industrie, l’agriculture et la technologie, et multipliant les programmes d’aide dans les domaines de la santé et de l’éducation. La récente pandémie de COVID-19 a également été l’occasion pour la Chine de renforcer sa diplomatie médicale en Afrique, notamment par des dons de vaccins et d’équipements médicaux.
Les relations entre les pays africains et la Chine sont sans aucun doute complexes, car elles englobent à la fois d’importantes opportunités économiques et des défis critiques liés à la souveraineté, au développement durable et à la gouvernance. Alors que la Chine continue de renforcer sa présence sur le continent, les pays africains devront faire preuve de finesse pour optimiser les bénéfices de ce partenariat tout en protégeant leurs intérêts à long terme.
L’avenir de cette relation dépendra de la capacité des pays africains à négocier des accords plus justes et à diversifier leurs alliances. Du côté de la Chine, le véritable enjeu sera de démontrer qu’elle peut agir en tant que partenaire respectueux des aspirations des peuples africains et contribuer concrètement au développement durable et équitable du continent.
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