Ils se présentent comme des présidents légitimes, élus par leur peuple. Pourtant, au fil des années, les élections se sont transformées en rituels prévisibles, destinés moins à exprimer la volonté populaire qu’à perpétuer des règnes sans fin. En Côte d’Ivoire comme au Cameroun, la démocratie a pris des allures de vitrine : les urnes existent, les scrutins ont lieu, mais le résultat ne change jamais. Dans cette apparente normalité institutionnelle, une question s’impose : les élections à venir seront-elles les dernières d’un cycle épuisé ou le début d’une véritable ère politique ?
Depuis la tragédie post-électorale de 2010-2011, la Côte d’Ivoire s’est relevée au prix d’un équilibre précaire entre réconciliation et mémoire. Sous Alassane Ouattara, le pays a retrouvé une dynamique économique impressionnante, devenant l’une des locomotives de l’Afrique de l’Ouest. Mais cette réussite dissimule une réalité politique plus ambiguë. La modification constitutionnelle de 2020, ayant permis à Ouattara de briguer un troisième mandat, a été vécue par beaucoup comme une trahison de l’esprit démocratique. Les tensions ethniques et partisanes n’ont pas disparu, même si elles se taisent sous le vernis de la croissance. Le retour sur la scène politique de figures comme Laurent Gbagbo ou Guillaume Soro, bien que symbolique, témoigne de blessures qui demeurent ouvertes. Pourtant, l’élection à venir pourrait marquer un tournant. Si elle se déroule dans la transparence et la paix, elle offrirait à la Côte d’Ivoire une occasion unique : celle de prouver que développement économique et démocratie ne sont pas incompatibles. La question n’est plus de savoir qui gouverne, mais comment on gouverne.
Au Cameroun, l’histoire semble figée depuis plus de quatre décennies. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, incarne une longévité politique exceptionnelle, mais aussi une inertie paralysante. À 92 ans, il dirige encore un pays jeune, vibrant et créatif, mais contraint. Les institutions sont devenues les rouages d’une mécanique bien huilée : celle du maintien au pouvoir. L’opposition peine à exister. Les figures les plus audacieuses sont emprisonnées, muselées ou marginalisées. La presse indépendante subit des pressions constantes, et la corruption gangrène jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Le peuple camerounais, lui, observe en silence, oscillant entre résignation et espoir. Les élections prévues en 2025 seront donc un moment crucial. Biya partira-t-il enfin, ou tentera-t-il un ultime passage en force ? Le doute persiste. Et même s’il devait quitter le pouvoir, la question essentielle demeurera : le système Biya survivra-t-il à Biya lui-même ? Les Camerounais aspirent à autre chose qu’à la stabilité de façade. Ils veulent un avenir : une justice indépendante, une alternance réelle, des institutions qui ne se contentent plus d’être des vitrines. Car après plus de quarante ans de pouvoir, l’usure n’est plus seulement politique, elle est morale.
Ni la Côte d’Ivoire ni le Cameroun ne manquent de talents, d’énergie ou de jeunesse. Ce qui leur fait défaut, c’est une respiration démocratique. La jeunesse de ces deux pays, éduquée, connectée et consciente, n’adhère plus à la vieille logique des « pères de la nation » éternels. Elle réclame des dirigeants proches du terrain, transparents, capables d’écouter avant d’imposer. Mais le changement ne viendra pas de l’extérieur. Les puissances occidentales, longtemps complices des régimes autoritaires au nom de la « stabilité », n’ont plus la même crédibilité. Elles dénoncent du bout des lèvres les fraudes électorales, tout en poursuivant leurs intérêts économiques et stratégiques. La vraie rupture viendra des peuples eux-mêmes, lorsqu’ils refuseront enfin de confondre paix et silence. Car la démocratie ne se décrète pas. Elle se construit, pas à pas, dans la transparence, la justice et le respect des institutions. Peut-être que ces élections, en Côte d’Ivoire comme au Cameroun, marqueront le début d’un nouveau cycle : celui où les dirigeants comprendront qu’on ne gouverne pas un peuple indéfiniment, et où les citoyens cesseront de croire que la stabilité vaut mieux que la liberté.
« La démocratie n’est pas un décor. Elle n’a de sens que lorsqu’elle redonne la parole à ceux qu’on ne veut plus entendre. »
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