Banque centrale africaine : rêve ou projet ?

Banque centrale africaine : rêve ou projet ?

8 décembre 2025

Depuis plusieurs décennies, l’idée de créer une Banque centrale africaine (BCA) ressurgit régulièrement dans les discours politiques et institutionnels. Elle est présentée comme un symbole d’indépendance économique, un instrument d’intégration régionale et un pas décisif vers une souveraineté monétaire continentale. Pourtant, malgré les annonces répétées de l’Union africaine (UA), la question demeure : où en est réellement ce projet ? Va-t-il un jour voir le jour ? Et surtout, quels seraient les bénéfices pour les pays africains d’une telle institution ? Pour comprendre l’enjeu, il faut revenir au calendrier initial. L’Union africaine avait prévu une feuille de route ambitieuse : création d’une Banque centrale africaine d’ici 2028, suivie d’une monnaie continentale unique dans les années suivantes. Cette institution devait s’ajouter à deux autres piliers également envisagés : le Fonds monétaire africain et la Banque africaine d’investissement. Ensemble, elles constitueraient l’architecture financière d’un continent déterminé à rompre avec la dépendance extérieure. Mais la réalité est plus nuancée que les intentions. Si les discussions politiques progressent, les avancées concrètes restent limitées. Plusieurs raisons expliquent cette lenteur : divergences économiques entre les pays, niveaux de développement très hétérogènes, difficultés de coordination des banques centrales régionales existantes et, surtout, la question épineuse des devises nationales dont certaines sont encore arrimées à des monnaies étrangères, comme le franc CFA.

La création d’une telle institution suppose que les pays membres acceptent de céder une partie de leur souveraineté économique au profit d’une structure supranationale. Or, cette concession est loin d’être consensuelle. Pour certains gouvernements, la monnaie est un outil politique qu’ils hésitent à abandonner. Pour d’autres, notamment dans les zones francophones, des réformes internes profondes sont encore en cours. On comprend ainsi que la BCA ne puisse émerger tant que les États africains n’auront pas harmonisé leurs politiques monétaires et budgétaires. Pour autant, faut-il conclure que ce projet restera éternellement un horizon inaccessible ? Pas nécessairement. Depuis la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), l’intégration économique du continent a franchi une étape majeure. La création d’une monnaie unique, et donc d’une banque centrale commune, apparaît désormais comme un complément logique à la liberté de circulation des biens et services. L’Union africaine réaffirme d’ailleurs régulièrement sa volonté d’avancer dans cette direction.

La question essentielle est alors de savoir pourquoi une telle institution serait utile aux pays du continent. Les bénéfices potentiels sont nombreux. Elle permettrait d’abord de renforcer l’indépendance économique de l’Afrique. Aujourd’hui, de nombreux pays dépendent du dollar, de l’euro ou du yuan pour leurs transactions internationales. Une devise continentale, émise et régulée par une autorité monétaire commune, réduirait cette vulnérabilité aux fluctuations extérieures et augmenterait la capacité du continent à définir ses propres priorités. Elle favoriserait également la stabilité macroéconomique. En harmonisant les politiques monétaires, elle pourrait lutter plus efficacement contre l’inflation, stabiliser les taux d’intérêt et accroître la crédibilité financière des États africains. Pour les investisseurs internationaux, une zone monétaire unifiée serait synonyme de sécurité accrue et de prévisibilité, deux conditions indispensables au développement. De plus, la BCA faciliterait les échanges intra-africains. Aujourd’hui, les transactions entre pays du continent sont coûteuses en raison de la multiplicité des devises. Une monnaie unique simplifierait les paiements transfrontaliers, réduirait les frais bancaires et renforcerait le commerce régional, encore trop faible malgré le potentiel démographique et économique de l’Afrique. Enfin, elle pourrait jouer un rôle de stabilisation en cas de crise. À l’image de la Banque centrale européenne, elle disposerait d’outils pour soutenir les économies les plus fragiles, mutualiser les risques et éviter l’effondrement d’un pays susceptible d’entraîner ses voisins.

Mais ces bénéfices supposent des conditions strictes : discipline budgétaire, convergence économique, transparence institutionnelle et lutte contre la corruption. Sans ces prérequis, une monnaie unique pourrait devenir un facteur de déséquilibre plutôt que de stabilité. La création d’une Banque centrale africaine est un projet ambitieux, complexe et encore lointain. Mais il n’est pas irréaliste. Il incarne une vision : celle d’un continent capable de maîtriser son destin économique, d’unifier ses forces et de réduire ses dépendances extérieures. Le chemin sera long, parsemé de défis techniques et politiques, mais si les pays africains choisissent la coopération plutôt que l’isolement, ce projet pourrait, un jour, devenir une réalité porteuse d’espoir pour l’avenir du continent.

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