Sur tout le continent, une génération hyperconnectée a trouvé dans les réseaux sociaux un moyen inédit de gagner sa vie, d’exprimer sa créativité et de contourner un marché du travail trop étroit pour elle. Là où les opportunités traditionnelles se font rares, YouTube, TikTok, Instagram ou Facebook deviennent des tremplins économiques. La Banque africaine de développement rappelle que près de 12 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, pour seulement 3 millions d’emplois formels créés. Face à cette équation impossible, la quête d’autonomie financière se déplace vers l’économie numérique. Influenceurs, créateurs, commerçants en ligne ou gamers cherchent à transformer leur téléphone en source de revenus. Cette dynamique, encore marginale il y a quelques années, s’impose désormais comme l’un des moteurs de nouveaux modèles économiques en Afrique.
Les plateformes numériques ne sont plus un simple espace de divertissement, mais un véritable marché. Selon plusieurs études récentes, l’économie des créateurs génère déjà plus de 3 milliards de dollars par an sur le continent, avec une croissance supérieure à 28%. À Lagos, Nairobi, Johannesburg ou Abidjan, de jeunes talents bâtissent de véritables micro-entreprises grâce à des vidéos virales, au e-commerce informel, au coaching digital ou aux partenariats commerciaux. Le potentiel est considérable : les projections indiquent que ce secteur pourrait atteindre près de 18 milliards de dollars d’ici 2030. Ces opportunités séduisent d’autant plus qu’elles offrent une liberté rarement accessible dans l’emploi salarié : moins de contraintes hiérarchiques, créativité décuplée, possibilité d’être visible à l’échelle mondiale et de transformer une passion en métier. Comme le résume un chercheur en innovation digitale à Nairobi, ce que recherchent ces jeunes, ce n’est plus seulement un salaire, c’est une scène. Une scène ouverte à tous, mais extrêmement compétitive. Cette redéfinition des trajectoires professionnelles s’accompagne d’une transformation profonde des aspirations. Les anciens modèles de réussite, ceux du diplôme menant à un emploi stable dans la fonction publique ou une grande entreprise, laissent place à de nouvelles formes d’accomplissement où visibilité, influence et autonomie priment sur la sécurité de l’emploi traditionnel.
Cette économie prometteuse reste toutefois fragile. La dépendance aux algorithmes, la volatilité des revenus publicitaires, les risques de cyber-fraude ou de censure peuvent transformer un succès fulgurant en précarité du jour au lendemain. Les plateformes fixent les règles et les modifient sans consultation. Une minorité tire réellement profit de la monétisation tandis que la majorité demeure dans une informalité totale. Les écarts se creusent aussi entre pays : ceux disposant d’infrastructures numériques fiables et d’un écosystème commercial structuré captent l’essentiel des bénéfices.
L’accès aux programmes de monétisation des grandes plateformes demeure particulièrement limité pour les créateurs africains. La plupart des pays du continent restent exclus des principaux fonds rémunérateurs, contraignant les créateurs à dépendre principalement de partenariats avec des marques locales ou de systèmes alternatifs. Cette course à la visibilité a également un coût humain : pression psychologique, exposition permanente, contenus parfois déconnectés des réalités ou promouvant des rêves inaccessibles. Transformée en vecteur de réussite sociale, l’influence numérique peut devenir un miroir trompeur, nourrissant frustrations et addictions.
Cette nouvelle économie révèle une évidence : la jeunesse africaine ne manque ni de talent ni d’ambition, mais d’opportunités solides pour s’accomplir. Gouvernements et entreprises doivent désormais encadrer, structurer et sécuriser cette dynamique, en soutenant l’émergence d’écosystèmes créatifs locaux. Développer les compétences digitales, encourager l’entrepreneuriat, protéger les revenus des créateurs et attirer les investissements technologiques sont autant de leviers pour transformer cette ruée numérique en moteur de développement durable. Car derrière chaque contenu qui circule sur les écrans, c’est un désir profond d’avenir qui s’exprime. La question n’est plus de savoir si les plateformes peuvent créer de la richesse pour les jeunes Africains, mais si le continent saura en faire un pilier structurant de son développement. L’enjeu est de taille : il s’agit de construire un écosystème où créativité rime avec durabilité, où influence numérique se conjugue avec protection sociale, et où l’innovation digitale devient un véritable ascenseur social plutôt qu’une loterie algorithmique.
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