Entrepreneuriat africain : l’heure des comptes

Entrepreneuriat africain : l’heure des comptes

25 novembre 2025

La promesse d’une Afrique d’entrepreneurs innovants et autonomes bute sur une réalité plus nuancée. Loin d’être un chemin linéaire vers la prospérité, l’entrepreneuriat africain se trouve à une véritable croisée des chemins, entre croissance réelle et illusion d’essor. Après l’euphorie des licornes et des levées spectaculaires, le paysage se fissure et révèle une dynamique contrastée. En 2024, le marché du capital-risque panafricain a montré des signes de stabilisation mais aussi de contraction, avec environ 3,2 milliards de dollars levés, un repli par rapport aux niveaux d’avant-crise et une concentration marquée des investissements sur quelques pôles : Nigeria, Afrique du Sud, Égypte, Kenya. Cette dynamique illustre un ajustement nécessaire pour tempérer l’enthousiasme initial, car le récit de la success story africaine ne suffit plus à convaincre des investisseurs exigeants.

L’un des paradoxes centraux tient à la dualité entre l’innovation technologique visible dans certaines capitales et la faiblesse des fondations qui permettraient une montée en échelle durable. Les startups fintech continuent d’attirer une part importante des financements, tandis que des pans entiers de l’écosystème restent confrontés à un manque de ressources structurel. Le secteur souffre d’un déficit non seulement en volume, mais surtout d’un problème d’adéquation. Au cœur de ce défi : l’écart de risque que représente le capital africain en dollars demandé face à la réalité d’une économie informelle aux capitaux pourtant abondants mais dispersés. Autrement dit, l’équation entre le capital disponible, le risque perçu et la capacité d’absorption fait que les économies locales demeurent structurellement sous-financées. Cette fracture entre un secteur tech survalorisé et une économie réelle assoiffée de capitaux révèle l’urgence d’une redistribution des flux financiers vers les acteurs qui créent véritablement de l’emploi et de la valeur ajoutée locale.

La gouvernance des écosystèmes constitue le deuxième verrou. La création d’un marché régional via la ZLECAf (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine) offre une opportunité stratégique majeure permettant aux entrepreneurs africains de sortir des micro-marchés nationaux et de bâtir des chaînes de valeur régionales. Néanmoins, la réciprocité entre opportunité commerciale et capacité productive reste fragile. Sans infrastructures logistiques, normes harmonisées et facilitation douanière effective, la ZLECAf risque de rester un cadre théorique. Pour que l’ouverture profite réellement aux entrepreneurs, il faudra des politiques proactives d’accompagnement : accès aux marchés, normes, financement de l’exportation et cadre incitatif attractif. Au-delà de la simple signature des accords, le plan humain et organisationnel, la qualité du capital entrepreneurial et la capacité d’absorption restent inégaux. Certaines jeunes pousses atteignent rapidement des niveaux de maturité managériale et opérationnelle, mais nombre d’entre elles restent trop axées sur la conquête rapide d’utilisateurs et la croissance par subventions, au détriment de la rentabilité et de la résilience. Les investisseurs internationaux, après le gel brutal faisant suite à une décennie d’euphorie financière, exigent désormais des fondamentaux : traction réelle, modèle de revenus durable, gouvernance et maîtrise des coûts. Cette exigence redéfinit la frontière entre croissance saine et bulle. Les acteurs qui sauront aligner impact local et performance financière attireront les capitaux ; les autres devront se restructurer ou disparaître.

La dimension géopolitique n’est pas neutre dans ce basculement. L’intérêt renouvelé des grands fonds internationaux, des agences de développement et même de certains États pour l’Afrique s’accompagne d’enjeux stratégiques : influence, sécurisation des chaînes d’approvisionnement, accès aux matières premières critiques ou aux talents numériques. Cependant, les entrepreneurs africains devront naviguer habilement face à ces nouveaux acteurs : il s’agit de saisir ces opportunités de croissance sans se retrouver dépendants d’écosystèmes créés pour eux, mais sans eux. Le financement chinois, indien, américain ou européen ne sera durable que s’il s’accompagne d’une réelle appropriation locale et d’un transfert de compétences. Sans quoi, l’écosystème entrepreneurial africain risque de se cantonner à un rôle de sous-traitant high-tech plutôt que de s’affirmer comme un acteur autonome de sa propre trajectoire.

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