ZLECAf : L’Afrique face à ses contradictions, entre promesse historique et réalité du terrain

ZLECAf : L’Afrique face à ses contradictions, entre promesse historique et réalité du terrain

24 novembre 2025

Cinq ans après son lancement officiel, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) demeure, sur le papier, l’un des projets de transformation économique les plus ambitieux au monde. Conçue pour unifier un marché de plus de 1,3 milliard d’habitants et catalyser le commerce intra-africain, elle devait marquer un tournant historique. Pourtant, le constat est aujourd’hui en demi-teinte : les échéances reculent, les objectifs s’éloignent et la matérialisation des promesses se fait attendre. Le récent report de plusieurs échéances clés illustre une mise en œuvre laborieuse, entravée par des lourdeurs administratives et une volonté politique vacillante. Comme le résume justement l’International Institute for Sustainable Development, « la ZLECAf se trouve coincée quelque part entre la phase de négociation et celle d’application ».

Le dernier rapport du Global Trade Alert est sans appel : l’Afrique peine à traduire l’accord en mécanismes opérationnels. Sur les 55 États membres, moins de la moitié ont ratifié l’ensemble des protocoles, et l’élimination de 90 % des droits de douane n’est désormais plus attendue avant 2034. Le commerce intra-africain stagne autour de 15 %, bien loin des 60 % observés en Europe ou en Asie. Ce retard chronique résulte d’une convergence de freins structurels : infrastructures vétustes, disparité des législations, bureaucratie excessive et déficit de coordination régionale. De nombreuses économies, dépendantes des recettes douanières ou soucieuses de protéger leurs industries naissantes, hésitent à ouvrir réellement leurs frontières. Derrière la rhétorique panafricaine, chaque État continue de protéger sa marge de manœuvre, souvent au détriment de l’intégration collective. Le continent reste fragmenté. Tandis que des pays comme le Rwanda ou Maurice misent sur la transparence et la stabilité réglementaire, d’autres peinent à offrir un climat des affaires prévisible. Le coût exorbitant des formalités frontalières et les carences logistiques plombent la compétitivité des entreprises africaines. Selon l’Overseas Development Institute, une PME africaine dépense en moyenne 45 % de plus qu’une entreprise asiatique pour exporter vers un pays voisin.

Le résultat est sans équivoque : une ZLECAf à deux vitesses, ambitieuse dans les textes mais hésitante sur le terrain, où les frontières demeurent à la fois physiques, douanières et mentales.

La ZLECAf devait offrir à l’Afrique une autonomie stratégique face aux tensions commerciales mondiales en renforçant les chaînes de valeur régionales. Mais cette vision se heurte à des peurs légitimes : l’érosion des recettes fiscales, la pression sur le tissu industriel local et la crainte de déséquilibres commerciaux. Si ces inquiétudes sont compréhensibles, elles paralysent une dynamique pourtant vitale. Wamkele Mene, secrétaire général de la ZLECAf, l’a rappelé avec force : « Nous ne pouvons pas prétendre bâtir un marché commun si chaque pays continue d’agir comme une île. » L’avenir de la ZLECAf dépend désormais de la capacité du continent à dépasser les discours pour investir dans le concret. L’intégration ne se décrète pas, elle se construit : infrastructures logistiques, systèmes de paiement interconnectés, politiques industrielles cohérentes et confiance institutionnelle. Si les dirigeants africains parviennent à consolider ces piliers, le commerce intérieur pourrait bondir de 80 % d’ici 2035, selon la Banque mondiale. Mais ce potentiel restera lettre morte sans une mutualisation des efforts et une synchronisation des réformes. L’heure n’est plus aux déclarations d’intention, mais aux investissements massifs dans les corridors de transport, à l’harmonisation douanière et à la digitalisation des échanges.

L’Afrique dispose d’une fenêtre d’opportunité unique, portée par une démographie dynamique et un positionnement géostratégique renforcé. Sans une accélération décisive, la ZLECAf risque de demeurer le symbole d’une ambition inachevée : celle d’un continent conscient de sa puissance, mais prisonnier de ses paradoxes. Le véritable enjeu n’est plus d’annoncer l’intégration, mais de la prouver par des résultats tangibles.

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