Cameroun : quand le diplôme devient un fardeau

Cameroun : quand le diplôme devient un fardeau

11 novembre 2025

Dans les rues de Yaoundé, Douala ou Garoua, il n’est pas rare de croiser de jeunes Camerounais, clients fidèles des cybercafés, CV sous le bras. Ils sont là depuis des mois, parfois des années. Beaucoup ont étudié avec acharnement, cumulé les diplômes, décroché des mentions honorables. Certains sont titulaires de masters, d’autres de licences professionnelles obtenues après des années de sacrifices familiaux et financiers. Et pourtant, le marché du travail leur ferme obstinément la porte. Au Cameroun, l’équation est cruelle : plus les jeunes sont diplômés, plus ils semblent condamnés à l’attente. Selon les estimations officielles, près de 70 % des diplômés de l’enseignement supérieur peinent à trouver un emploi stable dans les trois années suivant l’obtention de leur parchemin.

Le poids d’un système figé

Ce paradoxe trouve ses racines dans un système éducatif encore prisonnier d’une vision ancienne du savoir. Les universités camerounaises, pour la plupart, continuent de privilégier la théorie au détriment de la pratique. On y apprend à réciter, rarement à entreprendre. Les amphithéâtres surchargés, parfois avec plus de mille étudiants pour un seul professeur, ne permettent aucune interaction constructive. Les travaux pratiques demeurent marginaux, voire inexistants dans certaines filières. Résultat : des cohortes de diplômés sortent chaque année armés de connaissances déconnectées des réalités économiques du pays. Ils maîtrisent les théories économiques keynésiennes ou les subtilités du droit international, mais peinent à rédiger un plan d’affaires opérationnel ou à utiliser les outils numériques désormais indispensables en entreprise. En parallèle, le tissu productif camerounais peine à absorber cette masse de diplômés. L’industrie demeure limitée, le secteur informel règne en maître, représentant près de 80 % de l’activité nationale. Dans ce contexte, le diplôme « prestigieux » se transforme souvent en désillusion. Nombreux sont ceux qui multiplient les stages non rémunérés, espérant un jour franchir la porte du secteur formel. Mais ces opportunités se raréfient inexorablement. Les rares postes disponibles dans la fonction publique ou dans les grandes entreprises font l’objet d’une concurrence féroce, où les relations personnelles pèsent souvent plus lourd que les compétences académiques.

Au Cameroun, la réussite sociale reste trop souvent associée au nombre de diplômes accrochés au mur. L’université est vue comme le seul sésame vers la reconnaissance. La formation professionnelle, quant à elle, souffre d’une image dégradée et elle se retrouve reléguée au rang de voie de secours pour les « moins bons élèves ». Ce biais culturel enferme tout un pays dans l’obsession du parchemin plutôt qu’un certificat en mécanique, en agriculture ou en programmation, alors même que ces métiers manquent cruellement sur le terrain. Ce déséquilibre alimente une situation absurde : d’un côté, des milliers de jeunes surdiplômés sans emploi ; de l’autre, des entreprises en quête de profils techniques qualifiés. Un véritable gâchis de talents et de ressources.

Changer de cap : de l’instruction à la compétence

Il est temps de diversifier les chemins de réussite. L’école camerounaise doit cesser d’être une fabrique à diplômes pour devenir un véritable tremplin vers l’autonomie. Cela passe par une refonte des programmes, plus proches des réalités locales, par le développement de filières techniques, agricoles et numériques solides, et par un partenariat renforcé entre établissements scolaires et entreprises. Des initiatives prometteuses émergent déjà : certaines écoles privées collaborent avec des entreprises pour proposer des cursus en alternance, tandis que des incubateurs accompagnent les jeunes diplômés dans la création de leur propre activité. Le modèle de l’apprentissage, encore trop peu répandu, pourrait jouer un rôle clé. En France, en Allemagne ou en Suisse, les systèmes duaux, qui combinent formation théorique et pratique en entreprise, ont fait leurs preuves. Transposés au contexte camerounais, ils permettraient aux jeunes d’acquérir rapidement des compétences recherchées sur le marché du travail, tout en valorisant des parcours jusqu’ici méprisés. Former des techniciens qualifiés, des artisans compétents, des agriculteurs innovants : voilà l’urgence. Le secteur agricole camerounais, par exemple, représente plus de 60 % des emplois mais souffre cruellement d’un manque de main-d’œuvre qualifiée capable d’intégrer les nouvelles technologies et pratiques durables.

Cette transformation ne sera pas simple. Elle exige un changement profond des mentalités, des investissements massifs dans les infrastructures de formation, et surtout une volonté politique de réformer un système enraciné depuis des décennies. Mais l’enjeu est de taille : redonner espoir à toute une génération et construire une économie plus dynamique, capable de créer les emplois de demain. Le diplôme ne doit plus être un piège, mais un véritable passeport vers l’autonomie et la prospérité.

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