À mesure que les technologies d’intelligence artificielle (IA) progressent, la capacité de générer du texte, des images ou des vidéos d’un réalisme troublant ouvre la voie à une nouvelle ère de manipulation de l’opinion publique. En Afrique comme ailleurs, où les élections constituent des moments cruciaux de la vie politique, les réseaux sociaux ont déjà montré leur pouvoir d’influence, et l’avènement de l’IA pourrait rendre ces menaces encore plus difficiles à détecter et à contrer.
Les campagnes de désinformation ne sont pas nouvelles sur le continent. Plusieurs Etats africains ont déjà observé l’usage de faux profils, de hashtags orchestrés et de diffusion massive de faux contenus pour semer le doute ou influencer les résultats du scrutin. Mais aujourd’hui, l’IA change d’échelle. Un rapport de l’World Economic Forum (WEF) a classé la désinformation générée par IA comme l’un des risques les plus élevés à court terme pour les démocraties. En Afrique, une étude souligne que les commissions électorales devront aussi affronter l’essor des contenus synthétiques pour préserver la crédibilité du processus.
L’impact économique et géopolitique de ce phénomène est multiple. Premièrement, la perte de confiance dans les institutions nuit au climat d’investissement. Les entreprises, déjà sensibles aux instabilités politiques, redoutent désormais un environnement où la vérité elle-même devient incertaine. Les investisseurs internationaux surveillent la crédibilité des scrutins avant de s’engager dans des pays en développement, or l’IA offre un outil de manipulation à moindre coût pour des acteurs étatiques ou privés. Deuxièmement, la manipulation de l’information peut aussi être instrumentalisée pour favoriser certaines puissances étrangères. Les campagnes de désinformation se jouent désormais à l’échelle globale, et l’Afrique devient un terrain de choix pour des stratégies d’influence à bas coût. Enfin, sur le plan stratégique, l’IA pose un dilemme : si elle peut améliorer la gestion électorale ou la vérification des votes, elle offre aussi un arsenal de « deepfakes », de messages ciblés et d’avatars modifiés qui peuvent contaminer l’espace public.
Sur le plan opérationnel, de multiples défis se posent. L’un des premiers est l’illégitimité de la source : des vidéos d’apparence authentique, attribuées à des personnalités politiques ou diffusées par des canaux « amis » sur WhatsApp, peuvent se répandre avant que les mécanismes de vérification ne réagissent. Une étude menée au Ghana, à l’approche des élections de 2024, rapporte l’usage de plateformes de messagerie, de bots et d’images falsifiées, avec des médias locaux dépassés face à l’échelle de la diffusion. Par ailleurs, la faiblesse des cadres réglementaires et des moyens de vérification dans certains pays africains accentue cette vulnérabilité. Les organismes électoraux n’ont pas encore toujours les outils pour détecter l’IA générative ou en garder trace, ce qui fait de l’ombre à la transparence du processus.
Cependant, le constat ne doit pas glisser vers une vision fataliste ou résignée. Les premiers signaux montrent que la communauté internationale, les médias et les acteurs africains commencent à réagir. Certains centres de fact-checking développent des outils basés sur l’IA pour détecter les deepfakes ou les contenus manipulés. Par exemple, des projets en Afrique de l’Ouest utilisent l’IA pour extraire automatiquement des affirmations des médias et vérifier leur véracité. Cette double posture, de l’IA comme menace mais aussi comme levier de réponse, traduit l’importance d’une stratégie proactive.
À l’aube de plusieurs scrutins à venir sur le continent, les entreprises, les institutions et la société civile doivent intégrer ce paramètre : non seulement engager des actions de « cybersécurité informationnelle », mais aussi promouvoir la littératie numérique auprès des citoyens. Le défi n’est plus simplement de sécuriser le vote, mais de sécuriser ce que les électeurs croient avoir vu ou entendu. Les dirigeants d’entreprise doivent anticiper ce paysage élargi : les campagnes d’image, les influenceurs, les plateformes numériques deviennent des variables stratégiques de risque ou de réputation. En conclusion, l’IA ne supplantera pas à elle seule les mécanismes classiques de désinformation, mais elle les rend plus performants, plus rapides et plus difficiles à tracer. Ce « nouvel adversaire » impose une adaptation rapide des acteurs africains. Au-delà des bénéfices qu’elle promet en matière de productivité ou de gouvernance, l’IA est désormais un terrain où se joue l’intégrité démocratique. Pour les dirigeants et les chefs d’entreprise, il ne s’agit plus uniquement de surveiller leurs équipements ou leurs bilans, mais de surveiller l’écosystème informationnel dans lequel évolue leur entreprise, leur marque et, plus largement, leur pays.
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