Les présidents africains face à l’éternité du pouvoir

Les présidents africains face à l’éternité du pouvoir

22 octobre 2025

Sur le continent africain, chaque élection présidentielle réveille un même paradoxe : l’espoir d’un changement et la crainte d’un éternel recommencement. Entre révisions constitutionnelles, clientélisme et concentration du pouvoir, la démocratie reste fragile face à des dirigeants qui refusent de céder leur siège.

Le paradoxe électoral africain

À chaque scrutin, l’Afrique vit au rythme de ses contradictions. D’un côté, des électeurs enthousiastes, portés par le désir d’un renouveau. De l’autre, des systèmes politiques verrouillés où la transparence du processus électoral reste incertaine. Les commissions électorales, souvent dépendantes du pouvoir, peinent à garantir l’équité du vote. Les opposants dénoncent des irrégularités, tandis que les médias publics diffusent un message à sens unique. Dans ces conditions, les élections ne sont plus l’expression du peuple, mais la confirmation d’un ordre déjà établi.

Au Cameroun, Paul Biya incarne ce paradoxe. Président depuis 1982, il s’apprête, à 92 ans, à briguer un nouveau mandat de sept ans. En 2008, la suppression de la limitation du nombre de mandats a ouvert la voie à une présidence quasi perpétuelle. Son pouvoir repose sur un contrôle serré des institutions, de l’armée et des élites économiques. Ce modèle s’est reproduit ailleurs : en Ouganda, Yoweri Museveni dirige depuis près de quarante ans ; au Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso gouverne presque sans discontinuer depuis les années 1970 ; en Érythrée, Isaias Afwerki n’a jamais organisé d’élections depuis 1993. Ces présidents se présentent comme des garants de la stabilité nationale, parfois au détriment du pluralisme politique.

« En Afrique, la stabilité est souvent invoquée pour justifier la durée, mais c’est la durée qui finit par étouffer la stabilité. » Derrière cette longévité se cache une peur profondément enracinée : celle de l’après. Dans des États fragiles, le départ d’un président soulève la crainte du chaos. Le pouvoir devient ainsi une responsabilité à vie, au détriment de la démocratie elle-même. Dans de nombreux pays africains, cette longévité politique repose sur une économie de la loyauté. En distribuant postes, marchés et privilèges, le président s’assure le soutien des élites qui, en retour, garantissent la stabilité du régime. Ce système clientéliste alimente la corruption, affaiblit les contre-pouvoirs et transforme la politique en un mécanisme de survie collective pour ceux qui en bénéficient. Les institutions perdent alors leur indépendance : la justice devient un instrument, la presse est muselée, la société civile marginalisée. La démocratie se vide de son sens. Pourtant, les signes de changement se multiplient. Une jeune génération, éduquée, connectée et désireuse de transparence, s’organise pour réclamer des comptes. Des mouvements citoyens comme Y’en a marre au Sénégal, Balai citoyen au Burkina Faso ou Lucha en République démocratique du Congo ont démontré leur efficacité. En 2014, la mobilisation populaire a contraint Blaise Compaoré à quitter le pouvoir après 27 ans de règne.

Vers une démocratie réelle

Le renforcement des institutions reste la condition essentielle à toute transformation durable. Cela passe par une justice indépendante capable de juger sans crainte, une presse libre pour informer sans contrainte, et une armée neutre pour protéger la nation plutôt qu’un individu. Des pays comme le Ghana, le Cap-Vert ou le Botswana prouvent qu’une alternance pacifique est possible. Leur stabilité repose sur un principe simple : la primauté de la loi sur l’homme, de l’institution sur le dirigeant.

L’Afrique n’est pas condamnée à la présidence à vie. Les transitions démocratiques s’y écrivent lentement, au rythme d’une maturation politique et citoyenne. Le véritable enjeu ne réside pas seulement dans la tenue d’élections, mais dans la capacité à construire des institutions solides, capables de résister à la tentation du pouvoir absolu. Un mandat ne devrait jamais durer plus longtemps que la confiance du peuple.

Retrouvez l’ensemble de nos articles Actualité

Recommandé pour vous

Actualité

L’Afrique stratégique : un continent incontournable

Longtemps perçue à travers le prisme du besoin et de la dépendance, l’Afri…
Actualité

L’Afrique, puissance créative

L’Afrique n’est plus seulement un continent d’histoire et de t…
Actualité

Cybercriminalité : victoire d’étape ou combat sans fin ?

La cybercriminalité gagne du terrain au Cameroun, portée par l’essor du numériqu…