Quand le portable devient portefeuille

Quand le portable devient portefeuille

17 septembre 2025

En moins de deux décennies, l’Afrique a connu une véritable révolution silencieuse : celle du mobile banking. Dans un continent où une grande partie de la population n’avait pas accès aux services bancaires traditionnels, le téléphone portable est devenu la clé d’une transformation économique et sociale majeure. Cette innovation a ouvert la voie à une inclusion financière sans précédent, changeant la vie quotidienne de millions de personnes et redessinant les contours du développement.

Pendant longtemps, l’accès aux services bancaires est resté limité en Afrique subsaharienne. Les agences étaient rares, concentrées dans les centres urbains, et souvent inaccessibles aux populations rurales. Les critères d’ouverture de compte , justificatifs d’identité, revenus réguliers, frais bancaires, excluaient une grande partie de la population. Selon la Banque mondiale, il y a encore quelques années, près de deux adultes sur trois en Afrique subsaharienne n’avaient pas de compte bancaire. C’est dans ce contexte que le téléphone portable a changé la donne. Alors que le taux de bancarisation restait faible, la pénétration du mobile a explosé. Aujourd’hui, plus de 80 % des Africains possèdent un téléphone portable, même dans les zones reculées. Ce paradoxe a ouvert une brèche : si les banques n’étaient pas accessibles, le téléphone pouvait devenir un canal financier.

M-Pesa et la révolution du paiement mobile

Le Kenya est devenu le symbole de cette révolution avec le lancement de M-Pesa par Safaricom en 2007. Ce service permettait d’envoyer et de recevoir de l’argent via un simple SMS, sans compte bancaire. Rapidement adopté, il a bouleversé les habitudes : paiement des factures, transferts d’argent entre particuliers, microcrédit, épargne… Aujourd’hui, plus de 50 millions de personnes utilisent M-Pesa dans plusieurs pays africains. Son succès a inspiré d’autres initiatives en Tanzanie, au Ghana, au Nigeria et bien au-delà. Les banques traditionnelles, d’abord sceptiques, ont fini par s’allier aux opérateurs télécoms pour proposer des solutions hybrides, mêlant comptes bancaires et services mobiles. L’impact de cette révolution sur l’inclusion financière est considérable. Pour des millions d’Africains, le mobile banking représente le premier accès à des services financiers formels. Les bénéfices sont multiples : garder son argent sur un compte mobile est plus sûr que de le conserver en liquide, limitant les vols et les pertes. Les transactions se font en quelques secondes, y compris dans les zones rurales dépourvues de guichets bancaires. Dans de nombreux pays, les femmes, souvent exclues du système bancaire, ont pu accéder au mobile banking et ainsi renforcer leur rôle dans l’économie domestique et locale. Les petits commerçants et agriculteurs peuvent désormais recevoir des paiements, accéder à du microcrédit et épargner, ce qui soutient la croissance des économies locales. Une étude menée par le MIT a montré que le développement de M-Pesa au Kenya a permis à près de 200 000 foyers de sortir de l’extrême pauvreté, en particulier grâce à l’autonomisation des femmes et à l’essor de petites activités commerciales.

Un écosystème financier en pleine mutation

Aujourd’hui, le mobile banking ne se limite plus aux simples transferts d’argent. Il a donné naissance à un écosystème complet comprenant des plateformes de micro-assurance, des services d’épargne automatisée, des paiements de factures et taxes, ainsi que des crédits instantanés adossés à l’historique des transactions. Les gouvernements y voient également un levier de modernisation. Dans plusieurs pays, les salaires de fonctionnaires ou les aides sociales sont désormais versés via mobile money, limitant la corruption et améliorant la traçabilité.

Malgré ces avancées, des défis persistent. La régulation reste inégale d’un pays à l’autre, et les risques de fraude, de blanchiment et de cybercriminalité sont réels. L’éducation financière constitue aussi un enjeu crucial : disposer d’un compte mobile ne garantit pas une gestion optimale de ses finances. Enfin, la question des coûts de transaction, parfois élevés, peut freiner les populations les plus vulnérables. Néanmoins, l’adoption massive du mobile banking en Afrique illustre la capacité du continent à inventer des solutions adaptées à ses réalités. Là où les infrastructures bancaires classiques peinaient à s’imposer, l’innovation technologique a ouvert de nouvelles perspectives. L’inclusion financière n’est plus un rêve lointain mais une réalité tangible, accessible depuis la paume de la main. L’avenir pourrait encore renforcer cette dynamique, avec l’intégration des cryptomonnaies, des blockchains locales et de l’intelligence artificielle dans les services financiers mobiles. Mais déjà, l’Afrique démontre qu’elle peut être un laboratoire mondial de l’innovation financière, en plaçant l’inclusion au cœur du développement.

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