Dans de nombreux pays africains, donner la vie reste aujourd’hui encore un acte dangereux. Alors que dans les pays industrialisés, l’accouchement est un moment encadré, médicalisé et relativement sûr, il demeure en Afrique, pour des millions de femmes, une épreuve à haut risque. Chaque jour, des femmes meurent en mettant au monde leur enfant. En 2020, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé, près de 800 femmes sont décédées chaque jour dans le monde de causes évitables liées à la grossesse ou à l’accouchement. Plus des deux tiers de ces décès ont eu lieu en Afrique subsaharienne.
À Bamako, au Mali, Mariam, 28 ans, a accouché de son troisième enfant chez elle, faute de pouvoir payer le transport jusqu’au centre de santé communautaire. Son bébé est né en bonne santé, mais Mariam a perdu beaucoup de sang. Elle n’a survécu que grâce à l’intervention rapide d’une matrone du quartier, habituée à gérer des urgences dans des conditions précaires, avec peu de matériel, sans électricité ni solution de transfusion. Des histoires comme celle de Mariam sont nombreuses, et toutes ne finissent pas aussi bien. Dans certaines zones rurales du Nigéria ou de la République démocratique du Congo, les femmes doivent parfois parcourir plus de 50 kilomètres à pied ou en moto pour rejoindre une maternité équipée. Mais même lorsqu’elles y parviennent, rien n’est garanti : les établissements de santé manquent cruellement de personnel, de médicaments, d’eau potable, de lumière et même de draps. La surcharge de travail est telle qu’une sage-femme peut suivre plus de 300 accouchements par an, souvent seule, sans formation continue, ni soutien psychologique.
Les enfants aussi paient un lourd tribut à ce manque de moyens. Le taux de mortalité néonatale reste élevé : un enfant sur 36 meurt avant son premier mois de vie en Afrique subsaharienne, contre un sur 333 en Europe. Ces décès sont majoritairement dus à des complications évitables, comme l’asphyxie à la naissance, les infections bactériennes ou les naissances prématurées. Au Tchad, par exemple, les hôpitaux manquent régulièrement de matériel de réanimation néonatale. Dans certaines maternités, les incubateurs sont remplacés par des lampes chauffantes artisanales, et les nourrissons fragiles doivent leur survie à la vigilance constante de leurs mères et à la solidarité du personnel.
Mais l’Afrique n’est pas immobile face à cette réalité. Dans plusieurs pays, des progrès sont enregistrés. Au Rwanda, l’introduction des mutuelles communautaires a permis d’élargir l’accès aux soins maternels. Le pays a vu son taux de mortalité maternelle diminuer de plus de 60 % en deux décennies. Au Ghana, des motos-ambulances permettent de transporter les femmes enceintes dans les villages reculés jusqu’aux hôpitaux de district. Au Sénégal, l’ONG Speak Up Africa a lancé des campagnes de sensibilisation pour inciter les femmes à effectuer leurs consultations prénatales. Et en Tanzanie, certaines maternités expérimentent désormais des systèmes d’alerte par SMS permettant aux femmes d’être prises en charge plus rapidement en cas de complications.
La technologie joue également un rôle croissant. Des applications mobiles comme “GiftedMom” au Cameroun ou “MomCare” au Kenya permettent aux futures mères de suivre leur grossesse, de recevoir des rappels pour leurs examens médicaux, ou même de dialoguer avec une sage-femme à distance. Si ces initiatives restent encore limitées à certaines zones urbaines ou semi-urbaines, elles démontrent le potentiel des solutions innovantes pour répondre aux défis du terrain. L’enjeu est immense. Il ne s’agit pas seulement de sauver des vies, mais de garantir à chaque femme le droit fondamental d’accoucher dans la dignité et la sécurité. Cela passe par des politiques de santé ambitieuses, un investissement massif dans les infrastructures, et une reconnaissance du rôle crucial des sages-femmes et agents de santé communautaires. Trop longtemps négligée, la santé maternelle est aujourd’hui au cœur de nombreux programmes de développement. Donner la vie ne devrait jamais être un pari sur la mort. En Afrique, les voix s’élèvent, les solutions émergent, les progrès sont là, mais le chemin reste long. Et pour chaque mère, chaque enfant, chaque communauté, il mérite d’être parcouru.
Retrouvez l’ensemble de nos articles Décryptage