Les relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique ont longtemps été marquées par une asymétrie structurelle : l’Afrique exporte principalement des matières premières, tandis que l’accès de ses produits transformés au marché américain demeure limité. Dans ce contexte, l’imposition de droits de douane supplémentaires sous l’administration Trump, et leur maintien partiel à ce jour, soulève des préoccupations sur les conséquences pour plusieurs économies africaines. Tous les pays africains ne sont pas exposés de la même manière à ces mesures. Les économies qui bénéficient de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), notamment dans les secteurs textiles, comme le Kenya et l’Éthiopie, pourraient voir leur compétitivité affectée si des changements tarifaires sont appliqués ou si l’accord est remis en question. Les producteurs de cacao comme la Côte d’Ivoire et le Ghana sont moins directement visés par les droits de douane américains, mais une contraction de la demande globale, ou une hausse des coûts d’importation, pourrait tout de même avoir un effet indirect sur leurs exportations. En revanche, les exportateurs de pétrole comme le Nigeria et l’Angola sont moins sensibles à ces mesures, car les hydrocarbures ne sont pas l’objet principal des hausses tarifaires américaines. Toutefois, ils restent vulnérables aux fluctuations des prix mondiaux, souvent influencés par les tensions commerciales entre grandes puissances.
Face à ces incertitudes, plusieurs pays africains cherchent à renforcer leurs liens avec d’autres partenaires économiques. L’Union européenne, via les Accords de partenariat économique (APE), reste un débouché important pour les exportations africaines, bien que ces accords soient critiqués par certains analystes pour leur impact limité sur la transformation industrielle. La Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique depuis plus d’une décennie, continue d’importer massivement des ressources naturelles africaines. Toutefois, ce modèle reste majoritairement axé sur l’extraction, avec une faible création de valeur ajoutée locale. En outre, une dépendance excessive vis-à-vis de la Chine pourrait exposer certains pays africains à des risques en cas de ralentissement économique en Asie. Dans ce contexte, le développement du marché intra-africain apparaît comme une solution stratégique. La mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), entrée en vigueur en 2021, vise à stimuler les échanges régionaux. Elle représente un levier essentiel pour renforcer la résilience commerciale du continent. Toutefois, son succès dépendra de l’élimination des barrières non tarifaires, de l’amélioration des infrastructures et d’un engagement politique fort.
Plus fondamentalement, la dépendance persistante de nombreux pays africains à l’exportation de matières premières rend leurs économies vulnérables aux chocs externes, qu’ils soient tarifaires ou conjoncturels. La diversification vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée, comme l’agroalimentaire ou les industries légères, pourrait réduire cette exposition. Certains pays montrent des signes positifs. Le Maroc a développé une filière automobile dynamique, tandis que l’Éthiopie attire des investissements dans le textile grâce à ses zones économiques spéciales. Mais ces exemples demeurent l’exception plutôt que la règle. Des défis structurels subsistent : infrastructures insuffisantes, complexité administrative, difficultés d’accès au financement et instabilité dans certaines régions.
Les droits de douane américains, bien qu’importants, ne constituent qu’un élément dans un environnement commercial mondial de plus en plus complexe. La question clé pour l’Afrique est de savoir si elle pourra s’éloigner de son rôle traditionnel de fournisseur de matières premières pour devenir un acteur intégré et compétitif dans les chaînes de valeur mondiales. Si des efforts soutenus sont engagés — en matière d’éducation, d’infrastructures, d’innovation et de gouvernance — et si la ZLECAf est pleinement opérationnalisée, le continent a les moyens de construire un modèle économique plus autonome et résilient. Dans le cas contraire, il restera dépendant des fluctuations des politiques commerciales extérieures. Les tarifs douaniers américains ne sont donc pas une menace existentielle, mais un signal d’alarme. Ils rappellent l’urgence pour l’Afrique de diversifier ses marchés, transformer son économie et renforcer son intégration régionale pour mieux maîtriser son avenir commercial.
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